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Les victimes de l'Amoco
Interview avec M. le sénateur Arzel, Maire pendant 7 mandats successifs de la commune de Ploudalmézeau Propos recueillis le 18 avril 2003 à Ploudalmézeau, France
Lorsque l’Amoco Cadiz s’est échoué, quel a été votre rôle dans cette crise en tant que maire ? s Comme on n’avait jamais connu de problèmes semblables, on a été désemparés. L’Amoco Cadiz s’est échoué le16 mars à 22 heures. Le pétrolier était tout près de la cote à 1500 mètres du port de Portsall. Le lendemain matin, il y avait 35 personnes à bord qui lançaient des fusées rouges. J’ai pu suivre les évènements qui se déroulaient sur le pétrolier grâce à la station de sauvetage en mer de l’Aber Wrac’h car eux avaient une radio. Moi maire, responsable de la sécurité, je n’avais même pas de radio : je ne pouvais communiquer avec personne. Les gendarmes étaient mieux équipés que moi, alors que le maire est censé être le chef de la police. s Monsieur d’Ornano, qui était ministre de l’environnement et ministre de l’équipement, est venu s’entretenir avec nous. Je lui ai demandé comment on allait ramasser cette marée noire et je lui ai dit que j’aimerais bien avec mon conseil municipal être associé. Je fus littéralement jeté. Le ministre me répondit que j’avais la responsabilité de la population locale et que l’Etat lui allait s’occuper de tout ce qui avait trait au nettoyage. Ainsi notre proposition d’association s’est vue objecté une fin de non recevoir parce que nous avions pour seule mission de tranquilliser la population en leur disant que l’Etat s’occupait de tout. s Nous étions assez sceptiques devant le fait que l’Etat s’occupe de tout : nous avions déjà vécu d’autres marées noires auparavant : nous n’avions jamais vraiment su ce qui s’était passé, l’Etat souvent avait fait des transactions mais nous n’avions jamais vraiment eu connaissance de leur teneur. Alors devant la colère de la population, nous avons décidé de faire un procès pour savoir qui était responsable de cette situation et pour que les pollueurs paient demain les dégâts qu’ils avaient causés. C’était un coup de colère, un coup d’humeur devant l’attitude du ministre qui nous disait que nous étions des enfants sages seulement bons à rassurer tout le monde. Pour nous trop c’était trop ! Il y avait déjà eu trois naufrages auparavant, c’était le quatrième et il y en aurait sans doute d’autres. Nous voulions connaître les responsables de cette catastrophe et les faire condamner. s Nous avions plusieurs possibilités : il y avait le fonds de Brest : les 77 millions qu’Amoco avait déposés. On aurait pu faire comme les anglais qui avaient décidé de ne pas faire de procès mais voulaient que ce fond puisse leur permettre d’indemniser leurs dégâts ( ils ont dépensé de l’argent , ils sont venus nous aider, ils sont surtout venus répandre des détergents sur les plaques de mazout qui flottaient). Mais nous voulions un procès. s Nous avons décidé de réunir tous les maires de communes qui avaient été déclarées sinistrées par l’arrivée de pétrole sur leur plage. Il y avait 92 communes de deux départements : les Côtes d’Armor et le Finistère. Nous avons décidé de nous regrouper et de lancer un procès. Mais c’était bien plus facile à dire qu’à faire. Nous avons été démarchés par des avocats américains qui nous proposaient de ne rien payer au départ pendant la durée du procès mais qui demandaient à la fin du procès , compte tenu du résultat, un pourcentage de ce que nous aurions obtenu qui équivalait presque aux 3/4 de ce que nous aurions obtenu. On nous a proposé des transactions. Mais les montants proposés étaient ridicules. On a donc décidé de faire un procès. s Tout a commencé en septembre 1978 quand nous avons assigné la « Standard Oil ».
Comment vous êtes vous organisés ? s Notre problème majeur a été de créer une structure pour nous financer et de garder une cohésion d’ensemble. s Nous n’avions aucune idée de ce que pourrait nous coûter ce procès. Quand nous avons demandé à nos avocats combien cela pouvait coûter, ils nous répondirent que cela pouvait coûter un million de francs. Un million de francs, cela aurait été supportable car nous représentions quand même 500 000 habitants. Mais hélas ! Le coût n’a pas été d’un million mais de 95 millions et le procès a duré 14 ans. Dans notre périple, nous avons eu une chance : les changements de pouvoir à la tête de l’Etat. Nous avons demandé aux dirigeants politiques qui avaient été dans l’opposition et qui se retrouvaient au pouvoir de respecter les engagements qu’ils avaient pris envers nous lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Nous avons trouvé en M. Beregovoy et en Michel Charasse de bons partenaires qui nous ont avancé l’argent nécessaire lorsque les communes ne voulurent plus participer parce que les dépenses du procès pesaient trop lourd sur leur budget. Et ces avances, nous n’avons, suite à une décision du parlement, jamais eu besoin de les rembourser ce qui nous a permis de donner à chaque commune une somme assez digne de notre démarche. s Notre autre souci fut de garder une cohérence entre nous. Nous étions là pour défendre notre littoral, défendre notre Bretagne et il ne fallait pas que des problèmes politiques ou financiers viennent ternir notre image s Il faut dire que l’Etat n’a pas bien accueilli notre place dans le procès car l’Etat voulait être seul. Et l’Etat n’aurait sans nous sans doute pas fait de procès et ce serait contenté d’une transaction.
Comment s’est déroulé ce procès ?
s Nous étions 11 membres au bureau ; nous discutions avec les maires qui étaient appelés à témoigner et qui étaient stressés par leur témoignage, d’autant plus que, souvent, ils n’avaient jamais pris l’avion et que c’était leur baptême de l’air. Les maires se disaient que s’ils ne plaidaient pas bien la cause de leur commune , ils obtiendraient une indemnité ridicule et ils perdraient les futures élections municipales. s Quand nous avons été manifester dans les rues de Chicago à l’ouverture du procès, nous pensions que tout se passerait comme en France et que nous ferions sensation. Mais personne ne s’intéressait vraiment à nous bien que nous portions tous nos écharpes de maires : certains nous prenaient même pour des hollandais faisant de la publicité pour leurs fromages. s Ce que nous n’avons pas su faire c’est la communication et l’information à partir des médias américains. Nous n’avons pas la même mentalité : nous pensions, avec notre mentalité latine, qu’il suffisait de s’agiter pour que l’on parle de nous. Or là-bas il fallait payer pour que l’on parle de vous. Quand nous l’avons compris c’était déjà trop tard : le procès était déjà trop avancé. s L’accident de l’Exon Valdez est arrivé trop tard pour nous parce que le procès était déjà bien avancé. Mais l’attitude des américains a changé quand c’est arrivé chez eux. Mais c’était différent : Le bateau a heurté un rocher assez loin de la côte et ce sont surtout des îles qui ont été touchées.
Quels ont été les critères pris en compte pour définir et estimer le préjudice subi ? s Nous avions fait un projet de dossier pour chaque commune. Nous avions décidé de demander des indemnités pour différents chefs, comme par exemple « perte touristique », « atteinte dans notre image de marque », « préjudice moral ». Nous avions ainsi structuré les dossiers autour de 10 catégories selon lesquelles chaque commune fixait les sommes qu’elle estimait avoir perdues. Mais le juge a tout embrouillé : nous avons eu 100% des factures payées remboursées, mais 0 % pour les estimations ( comme par exemple le repeuplement de poissons plats). Mais le juge, par son pouvoir d’infliger des dommages punitifs, nous a donné une compensation en prenant en compte le littoral et la valeur touristique de chaque collectivité. Par exemple Perros Guirec a eu un crédit substantiel parce que c’était la commune la plus touristique des 92. s La répartition a été très inégale : Ploudalmézeau a bénéficié du fait que le bateau était chez elle. Après Perros Guirec, Ploudalmézeau a perçu la plus grosse indemnité : on avait des factures, on avait nourri tous les volontaires.
Combien aviez vous demandé au juge américain et combien avez vous obtenu ? s Nous avions demandé un milliards de francs et nous avons obtenu 230 millions. s Mais l’Etat qui demandait 1,5 milliards a obtenu un peu plus qu’un milliard de francs. L’Etat a plus que doublé la somme qu’il avait obtenue en première instance. s Après le procès de l’Amoco, nous avons décidé de rester une structure de vigilance : nous nous sommes baptisés VIGIPOL ( Vigilance contre les pollutions).
Existe-t-il encore des problèmes de répartition ? s Non et je ne comprends pas que la presse ou la radio puissent se faire le relais de telles allégations mensongères. Nous n’avons eu qu’un seul problème avec une commune dont le maire prétendait que le juge avait oublié un zéro dans le total. J’ai dû aller discuter avec le juge qui m’a dit que ce n’était pas un oubli : la maigre indemnité obtenue par cette commune était la sanction d’un faux témoignage du maire. s Cet argent reçu nous avons attendu un an pour le répartir car nous l’avons placé pour le faire fructifier. Nos placements ont permis de dégager 22 millions de francs. Nous avons pu donner aux ostréiculteurs, aux marins–pêcheurs, aux commerçants, à tous ceux qui avaient vu leur dossier rejeté, une certaine somme.
Une dernière question : que pensez vous de la mise en place du FIPOL ? s D’un certain côté, on peut en faire une interprétation négative puisque c’est une assurance qui permet aux pétroliers de polluer. s Mais c’est quand même une bonne chose car les choses ont évolué par rapport au naufrage du Tanio où le FIPOL n’était crédité que de 25O millions alors que maintenant les fonds disponibles s’élèvent 1,2 milliards de francs.
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© Projet Collectif sur la Pollution Pétrolière - Sciences Po 2003 - http://pollutionpetroliere.free.fr |