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M. Lucchini

 

Entrevue avec M. Laurent Lucchini – Professeur émérite à Paris I et Président du conseil scientifique de l’Institut du droit économique de la mer

 

1) Comment êtes-vous confronté au problème de la pollution pétrolière dans votre activité professionnelle et comment y répondez-vous?

En travaillant dans le milieu de la recherche universitaire, on ne peut faire autrement qu’être interpellé par les accidents pétroliers. Ils sont limités, mais leur nocivité est immense du fait que la pollution est très concentrée. En fait, j’ai commencé à m’intéresser au problème de la pollution pétrolière après avoir dirigé un DEA en droit de l’environnement. Mon activité en la matière consiste principalement à faire de la recherche.

 

2) Les catastrophes environnementales vous paraissent-elles avoir des causes essentiellement juridiques, c’est-à-dire une réglementation déficiente, ou résulter de comportements de délinquance économique en marge du droit?

La question est de savoir si la source des catastrophes environnementales est juridique ou humaine. Je dirais que c’est une combinaison des deux. En ce moment, la principale préoccupation juridique est de mettre en place des règles plus sévères pour lutter contre les navires sous-normes, communément appelés pavillons de complaisance. Je considère que le dispositif juridique est bien en place, il suffit d’ajuster certaines dispositions et d’appliquer les textes. Par exemple, il est nécessaire d’augmenter les plafonds d’indemnisation des victimes des accidents pétroliers. Aussi, il faut faire face au phénomène d’inertie des administrations qui mettent souvent longtemps avant d’indemniser les victimes. On peut dire qu’il y a une réelle nécessité d’harmoniser les plans d’urgence et les moyens de coordination. Par exemple, même le matériel utilisé pour lutter contre ce type de pollution est différent selon les pays européens. Les plans d’urgence doivent également être testés plus à l’avance.

 

3) Pensez-vous qu’une politique plus sévère de l’Organisation maritime internationale est possible, ou buterait-elle sur des conflits d’intérêts, des obstacles pratiques particuliers?

C’est ce dont se préoccupe l’Organisation maritime internationale. En fait, c’est moins un problème de règles nouvelles, mais d’application des règles existantes. Par exemple, le Mémorandum de Paris de 1982 autorise l’État du port à contrôler jusqu’à 25% des bateaux pour s’assurer de leur état, toutefois, aujourd’hui à peine 15% des navires sont contrôlés. L’OMI s’intéresse particulièrement au cas de la Mer Méditerranée, où transite 30% du commerce pétrolier mondial. Une catastrophe pétrolière dans une mer fermée comme celle-là pourrait avoir des conséquences absolument désastreuses. Toutefois, interdire le franchissement des bateaux, même s’ils sont non conformes, est fondamentalement contre le droit international. Donc, il y a des obstacles. Aussi, certaines solutions peuvent paraître intéressantes, mais leur efficacité est discutable. C’est le cas pour le mécanisme des navires à double-coque qui est perçu comme la nouvelle panacée.

 

4) Après l’élargissement, l’Union Européenne aura la 1ère marine marchande mondiale, en s’étendant à Malte et à Chypre (deux pays réputés abriter des opérateurs parfois peu recommandables). Pensez-vous qu’une politique européenne ambitieuse est possible et améliorera la situation?

Cela correspond à la volonté européenne, dans l’esprit. Mais l’Union Européenne va se buter à des difficultés internes, notamment avec Malte, Chypre et la Grèce qui vont difficilement accepter une législation sévère. C’est le frein essentiel à une politique européenne ambitieuse. Enfin, je crois que cela se fera, mais ça prendra plus de temps. On a souvent cité l’exemple américain en la matière, en vantant les effets des mesures prises pour lutter contre la pollution pétrolière là-bas. C’est en effet une législation très sévère, les dispositions sont très contraignantes. Mais cela n’est pas applicable à tous les pays. Les Etats-Unis savent de toute façon que le trafic est obligé de passer par leurs ports du fait de leur importance commerciale. Ils ne risquent donc pas de subir des pertes considérables. Ce n’est pas le cas pour les pays européens, qui n’ont pas cet avantage. On ne ferait que déplacer le problème ailleurs.

 

5) En France, pensez-vous que l’action des pouvoirs publics devrait être renforcée dans un domaine particulier? Pouvons-nous réduire les risques par des contrôles renforcés ou d’autres mesures?

Oui, mais on ne les éliminera pas. Les autorités publiques font souvent preuve de négligence, mais en aucun cas est-ce de la mauvaise volonté. Il est vrai que la France est le pays qui assure le moins les contrôles à l’échelle européenne, et ce, même si elle a une position sévère à cet égard. Ce qui est donc important est d’appliquer les textes en vigueur. Il ne sert à rien de prendre de nouvelles mesures si les anciennes ne sont même pas encore appliquées. Il faut aussi arrêter de stigmatiser les compagnies pétrolières, car les accidents sont souvent causés par la faute de l’armateur. Je crois donc qu’il faut partager les torts et étendre le système de responsabilité.

 

6) Êtes-vous généralement optimiste ou pessimiste quant à l’évolution du problème et pourquoi?

Je suis optimiste. Tout le chemin parcouru témoigne de la bonne volonté internationale et l’évolution va dans le bon sens. Tôt ou tard, nous arriverons à régler, ou du moins, rendre ce problème moins systématique. Toutefois, dans les années qui viennent le transport des hydrocarbures ne va pas décroître, donc il faudra faire face à ce trafic accru. Déjà une évolution dans ce sens : les supertankers qui devaient contenir jusqu’à 1 million de tonnes d’hydrocarbures n’ont pas vu le jour. Dans l’avenir immédiat, il y aura une double difficulté. D’une part, il faut attendre de voir si le navire à double-coque va répondre à tous les espoirs. Et il faudra déterminer comment nous pouvons vraiment lutter efficacement contre les navires sous-normes.

 

 

© Projet Collectif sur la Pollution Pétrolière - Sciences Po 2003 - http://pollutionpetroliere.free.fr